Jude l’obscur est le dernier roman qu’écrivit Thomas Hardy. Il met en scène quatre personnages dont les destins vont s’entrecroiser de manière tragique. Jude, orphelin, est un petit garçon aux joues pâles et aux idées sérieuses élevé par une tante peu amène dans le village de Marygreen. Très sensible à la nature qui l’entoure, profondément bon, enfant appliqué aux leçons de son maître d’école, Mr Phillotson, il découvre un jour les brumes de la ville universitaire de Christminster. Ébloui et émerveillé, il décide de s’instruire seul jusqu’à sa majorité pour pouvoir rejoindre les étudiants des collèges. Avec acharnement, le voilà qui tente d’apprendre le grec et le latin, lit les Pères de l’Eglise et les textes des Anciens. Mais Jude est faible dans sa chair et lorsqu’il découvre les délices d’un sentiment naissant avec la belle et vive Arabella, il laisse de côté ses études… Il ne connaît alors pas encore sa jeune cousine Sue Bridehead.
Je ne vous raconterai pas toute l’histoire de ce roman, mieux vaut ne rien en savoir avant de le commencer (merci la 4e de couverture du Livre de Poche…!). Mais je vais essayer de vous donner envie de le lire, car c’est un roman complexe et bouleversant. Avec Jude et Sue, couple maudit, Thomas Hardy nous dépeint deux personnages au caractère tourmenté qui tentent de trouver leur bonheur au milieu (ou malgré) les lois de la société.
La vie de Jude est portée par son désir profond d’accomplir un but. Au départ, il s’agit de réussir à entrer au collège de Christminster. Toute son énergie est alors tendue vers cet objectif qui donne un sens à sa vie. Mais les faiblesses de sa chair, son goût pour les femmes et l’alcool, comme il le dit lui-même, le détournent de ce but. Il tente par tous les moyens de se conformer aux lois du monde et c’est alors son honneur qui lui dicte sa conduite.
De son côté, Sue est une enfant rebelle et fière, non dénuée de coquetterie. Autodidacte elle aussi, elle a cependant une culture bien différente de celle de Jude, pétrie de philosophie et de poésie. Contrairement à Jude, c’est au moment où Sue a un choix à faire qu’elle se dérobe. Son esprit vif lui fait craindre les engagements et jamais elle ne semble reposer son intelligence fertile et sa sensibilité presque nerveuse.Ces lois du monde que Jude respecte tant, elle les dénigre avec force, comme contraires à l’accomplissement de son propre bonheur. Sans aller jusqu’à renier l’existence de Dieu, Sue n’a ainsi que peu de respect pour les sacrements religieux et les liens qu’ils créent.
L’institution du mariage et sa valeur religieuse cristallisent ces antagonismes entre les deux personnages principaux. Parce que Jude et Sue décident de vivre en-dehors de cette institution, tous les malheurs leur sont promis. L’ensemble du roman est une vive critique contre ces lois qui poussent deux êtres à s’unir devant Dieu et devant les hommes, sans que leur bonheur soit protégé. L’adultère y est permis, voire encouragé, comme unique solution lorsque le bonheur de deux êtres est en jeu. Ces positions valurent à Thomas Hardy une condamnation très vigoureuse de la part du clergé et des élites lors de la parution du roman. Jude dit lui-même que ses idées ont « cinquante ans d’avance »… En remettant ce roman dans son contexte de l’époque, on mesure à quel point cette notion de « poursuite du bonheur », qui n’est jamais exprimée telle quelle, est effectivement moderne et audacieuse. Cet aspect est encore accentué par la sensualité du roman : les relations entre les personnages ne relèvent pas seulement des sentiments, elles sont aussi charnelles, voire sexuelles (bien que toujours implicites), et cela joue un rôle très important dans leur histoire.
— Mais nous sommes mariés…
— À quoi bon les lois et les décrets, s’écria-t-elle avec impatience, s’ils rendent malheureux celui qui ne commet aucune faute ! Je vous aime bien. Mais je n’avais pas réfléchi que ce devrait être tout autre chose… Vivre intimement avec un homme quand on éprouve ce que j’éprouve est un adultère, quelles que soient les circonstances, même légales. Voilà, je l’ai dit !… Voulez-vous me laisser partir ?
Les nombreux retournements de situation entre Jude, Arabella, Sue et Mr Phillotson créent une tension permanente dans la lecture qui met nos nerfs à rude épreuve. Nous-mêmes, nous sentons notre cœur balancer avec Jude et Sue entre ce que la morale réprouve et ce que les élans de l’âme interdisent. Nous subissons les revers qu’ils subissent, nous tressaillons avec eux, nous pleurons avec eux. La force du style, la simplicité – qui n’est qu’apparente des caractères –, la maîtrise du tragique qui ne tombe jamais dans la sensiblerie, font de Jude l’obscur un roman incroyablement beau et passionné.
A lire absolument mais à éviter dans les moments de désespoir !
Billet réalisé dans le cadre du challenge « A year in England » organisé par Martine 🙂
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8 commentaires
Merci beaucoup pour cette chronique, je ne connaissais pas du tout ce livre mais ton résumé me tente beaucoup, je pense que c’est le genre de classique qui peut me plaire. Je n’ai jamais lu de Thomas Hardy jusqu’à présent. Je crois que je ne me serais pas arrêté sur ce titre pour être honnête, mais grâce à toi je vais l’ajouter dans ma wish list 🙂
Un très beau livre, mais très dur !
Tout simplement un chef-d’oeuvre, j’ai versé beaucoup de larmes sur la destinée sombre de Jude et Sue. Je crois que je pourrais en verser rien qu’en repensant à la scène qui clôture le livre.
Mission accomplie. Je vais le lire. J’avais vu le film il y a très longtemps et cela m’avait déprimée. Je vais acheter le livre. Merci pour ce beau billet .
Très bel avis sur un roman magnifique. Tragique mais sublime.
C’est un auteur que j’ai découvert sur bon nombre de blogs lors du mois anglais du coup je viens de m’acheter un de ces titres. Celui-ci a l’air poignant mais ton billet donne envie en tout cas, alors pourquoi pas ?
Je ne connaissais pas ce livre, et je n’ai encore jamais lu aucun ouvrage de Thomas Hardy (Loin de la foule déchainée m’attend sagement !), mais je vais garder ce titre à l’esprit ^^
Tes photos sont toujours divines !
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