Le sujet de la jeune fille séduite puis abandonnée (de préférence enceinte) par un séduisant jeune homme de la noblesse est un sujet qui revient fréquemment dans la littérature des XVIIIe et XIXe siècles. A la lecture de Ruth, je n’ai pu m’empêcher de faire des parallèles avec Tess d’Urberville, de Thomas Hardy, qui m’avait bouleversée. Même si tous deux traitent cette situation sous un angle religieux et moral, leur vision des choses et surtout le sort de leurs héroïnes diffèrent totalement.
Ruth est orpheline et travaille dans un atelier de couture pour gagner péniblement sa vie. C’est à l’occasion d’une soirée où elle se tient en coulisses pour réparer les accrocs des robes de ces dames qu’elle est remarquée par le charmeur Henry Bellingham. Il commence alors à la courtiser sans qu’elle y voie le mal, n’ayant plus aucun parent ou ami pour l’alerter des dangers et des conséquences d’une telle compagnie. Même lorsqu’elle et renvoyée de son travail pour avoir été vue sans chaperon au bras de Bellingham, Ruth ne voit d’autre remède que de s’en remettre à son séducteur, qui l’emmène en voyage au pays de Galles. Et à ce moment-là, même si on anticipe la suite des événements, j’avoue que Bellingham m’inspirait une certaine sympathie : à aucun moment l’auteur ne tombe dans une vision tranchée du monde, où le bien et le mal seraient immédiatement détectables en chacun de ses personnages. La pluie s’invite lors de leur séjour et le gentilhomme (à défaut d’être gentleman) tombe gravement malade. C’est sa mère Lady Bellingham qui vient prendre soin de lui. Horrifiée d’apprendre qu’il n’est pas seul, elle fait tenir Ruth à l’écart et ramène en secret son fils chez elle. Ruth, désespérée, est recueillie par un pasteur, Mr Benson, qui apprend bientôt qu’elle est enceinte. C’est là que l’histoire diffère de celle de Tess : contrairement à Thomas Hardy pour qui Tess expiera sa faute durant toute son existence, lui refusant même l’espoir d’un bonheur durable avec Angel Clare qui se détournera d’elle, Elizabeth Gaskell fait de ce pasteur l’instrument de la rédemption de Ruth. Au mépris des us et croyances de la société, Benson décide de l’accueillir chez lui avec sa sœur Faith (Foi), et même de mentir à son entourage pour la faire passer pour une veuve respectable de sa famille. Ce secret pèsera longtemps sur sa conscience, mais la vue de Ruth reprenant goût à la vie sera sa plus belle récompense. Il ira même jusqu’à la dissuader de se suicider pour qu’elle se consacre à son fils Léonard, ce fils qui n’aurait aucune existence reconnue en tant que bâtard. Véritable mater dolorosa, Ruth va racheter cette faute originelle par une vie exemplaire, jusqu’à ce que son passé ne la rattrape.
On peut avoir du mal à se représenter à quel point la conduite des Benson pouvait être indécente aux yeux de la société : recueillir une fille séduite, élever son enfant, mentir pour la faire passer pour une femme mariée…! Dans Tess d’Urberville, la seule mention de la « faute » de Tess, alors que son enfant est mort, suffit à la rejeter parmi les ombres. Elizabeth Gaskell nous livre donc ici un superbe portrait de femme et une interprétation personnelle de la charité, bien loin des conduites bien-pensantes et hypocrites de l’époque. Une interprétation religieuse certes, mais d’une religion de lumière, d’espoir et d’amour qui ne peut que nous émouvoir par la bonté qu’elle révèle chez son auteur.
Psst : Martine aussi en a parlé !
24 commentaires
Honte sur moi, je n’ai toujours pas lu « Tess » ! Malgré le côté extrêmement religieux, j’ai été très émue par le destin de Ruth et sa volonté de se racheter. C’est vraiment un magnifique personnage, douloureux mais néanmoins lumineux comme tu le soulignes dans ton billet.
Devoir à la maison pour Martine : lire Tess dès la fin du mois Américain ! :p
Il faudrait déjà que Titine arrive à finir « Freedom » avant la fin du mois américain !!!
Je n’ai rien dit moi :p
J’ai lu des critiques positives et négatives. Je verrai bien… Mais pour l’instant, tout ce que j’ai lu de Gaskell, j’ai aimé !
Je pense que c’est son ton religieux qui en fait une oeuvre moins connue et sans doute plus difficile à apprécier aujourd’hui, mais pour moi, ça a marché :).
Je n’ai jamais lu cet auteur et pourtant ce n’est pas les avis positifs qui manquent à son sujet sur la blogosphère
Dans ce cas, je ne saurai que t’encourager à découvrir Nord & Sud, qui est superbe 🙂
Je ne sais plus si tu as lu Nord et Sud, mais ce que j’aime chez Gaskell c’est qu’elle ne prend le parti commun de l’époque ; elle ne montre pas un truc noir ou blanc que ce soit du côté des « méchants » ou des « gentils ».
Tous ses romans me tentent bien évidemment, et celui-ci s’ajoute à ma liste. J’aime bien que tu fasses la comparaison avec Hardy, ça me fera le garder en tête pendant ma future probable lecture.
Bien sûr que j’ai lu Nord & Sud, c’était ma première lecture conseillée par la blogosphère et j’ai a-dor-ré. Tu as raison, cette finesse psychologique était déjà présente dans celui-là.
Noté depuis longtemps !!!
Je te souhaite de le découvrir bientôt, Syl !
Je n’ai pas encore lu Élisabeth Gaskell ni Tess d’Uberville mais tu m’as donné envie de lire et l’un et l’autre
Je te les conseille, mais il faut avoir le moral ! 😀
ce livre me fait de l’œil depuis sa sortie… je ne vais pas résister longtemps je pense
Un roman très optimiste, finalement.
J’ai lu « Cranford » cet été et j’ai bien apprécié. J’ai « Nord et Sud » dans ma PAL et je viens de rajouter « Ruth » à ma wish-list. Au vu de tous ces éléments, je crois bien qu’Elizabeth Gaskell va entrer prochainement au panthéon de mes auteurs préférés !
Il faut que je le lise, j’ai adoré Nord et Sud que j’ai lu il y a au moins quatre ans…
Les livres d’Elizabeth Gaskell ne se ressemblent pas, mais je conseille ! Cranford est aussi très drôle !
Je ne connaissais pas du tout ce roman, jamais en tendu parler! Of course, je note hein!
Je recommande chaudement si on aime les victoriens :p
Je découvre ton blog, et je suis très séduite, je note Ruth…
Ravie que ça te plaise, tu es ici chez toi !
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