Présentation
« Nous avons dû prendre l’univers en main mon frère et moi car un matin un peu avant l’aube papa rendit l’âme sans crier gare. Sa dépouille crispée dans une douleur dont il ne restait plus que l’écorce, ses décrets si subitement tombés en poussière, tout ça gisait dans la chambre de l’étage où papa nous commandait tout, la veille encore. Il nous fallait des ordres pour ne pas nous affaisser en morceaux, mon frère et moi, c’était notre mortier. Sans papa nous ne savions rien faire. À peine pouvions-nous par nous-mêmes hésiter, exister, avoir peur, souffrir. »
Ce que j’en dis :
Par où commencer ? Ce livre, c’est d’abord une langue, drôle, colorée, sauvage, d’une inventivité folle. C’est ensuite un personnage, le narrateur, qui nous échappe dès qu’on croit le connaître. C’est un monde, vivant et foisonnant, qui brouille tous nos repères, notamment historiques. C’est enfin une histoire, un apprentissage du monde, plein d’aventures, de rebondissements et de tristesse.
Deux jeunes garçons découvrent un matin que leur père s’est suicidé. Ils habitaient seuls avec lui dans une grande maison abandonnée, c’est donc tout leur univers qui est bouleversé par cette disparition. Un univers de règles et de rites auxquels ils ont été soumis toute leur vie. Le narrateur est l’un des deux enfants, il joue le rôle du « secrétarien », il note tout ce qui se passe pour en garder une trace. Nous voyons tout à travers ses yeux, dans une profonde subjectivité. Il est le plus intelligent des deux, bien sûr, même si son père ne semblait pas s’en rendre compte. C’est pour cela qu’il cite tout le temps Saint-Simon, Shakespeare ou la Bible. Il décide d’aller au village – pour la première fois de sa vie – chercher un cercueil pour enterrer son père. C’est ainsi que commence pour les deux garçons la découverte du monde. Une découverte qui leur réservera bien des surprises, mais moins peut-être qu’au lecteur lui-même. Car c’est la force de ce roman que de bousculer sans cesse les certitudes fragiles du lecteur.
On attend par exemple la « petite fille » du titre. Il est bien question d’une petite sœur qui aurait disparu, mais tout cela reste vague. Et puis, progressivement, entre les lignes, apparaît l’ombre d’un secret. Un secret de famille, lourd, horrible. Cette langue, sans inhibition, à la fois médiévale et savante, ne serait-elle pas née de la violence et de la folie ?
Ce que j’en fais :
L’auteur explique avoir connu une expérience se rapprochant presque de l’écriture automatique pendant l’écriture de ce livre. Cette histoire s’est imposée à lui, il en a découvert les tenants et aboutissants en tant que lecteur, et non en tant qu’auteur. Je peux le comprendre : un texte aussi fort, ça ne s’invente pas, ça se vit. Et c’est aussi ainsi que je l’ai lu.
C’est grâce à Cryssilda que j’ai découvert cet auteur et ce roman incroyable et inclassable. Gaëtan Soucy, écrivain québecois, est décédé cet été et Cryssilda, en grande admiratrice de son oeuvre, a proposé de faire voyager ce roman pour que nous puissions le découvrir et l’admirer à notre tour. C’est chose faite, mille mercis Cryssilda ! et un clin d’oeil à Dame Syl qui m’a aidée à écrire ce billet.
Pas de commentaires
Il est parfait ton billet ! Je me demande pourquoi nous butions sur les mots… L’empreinte de cette lecture a donc était si intense ?
Biz
[…] grand merci à Eliza, Lou… sans eux, je n’aurais jamais fait ce billet […]
J’ai ce livre dans ma PAL. Ton résumé me donne bien envie de me plonger dedans!
Il faut que je le lise !
Ca donne sacrément envie de s’y plonger !
J’ai bien envie de découvrir ce livre !
Je l’ai noté chez Syl., je suis de plus en plus intriguée !
Il est marquant, ce roman, n’est-ce pas! Un réel coup de poing.
[…] Soucy Gaëtan, La petite fille qui aimait trop les allumettes […]