Parmi toutes les pièces de Racine, Bérénice n’est pas au nombre des plus connues. Et pourtant, j’ai souvent en tête cette expression de l’historien Suétone : « invitus invitam« , « malgré lui, malgré elle« , dont Racine s’inspira pour écrire sa pièce : « Titus, dont on disait qu’il avait promis le mariage à la reine Bérénice, la renvoya aussitôt malgré lui, malgré elle. »
Titus, empereur de Rome, songe à épouser la reine Bérénice, mais le Sénat l’en interdit, à moins de renoncer à l’Empire. Au terme d’un long monologue, Titus a pris sa décision :
« Depuis huit jour je règne. Et jusques à ce jour
Qu’ai-je fait pour l’honneur ? J’ai tout fait pour l’amour.
D’un temps si précieux quel compte puis-je rendre ?
Où sont ces heureux jours que je faisais attendre ?
Quels pleurs ai-je séchés ? Dans quels yeux satisfaits
Ai-je déjà goûté le fruits de mes bienfaits ?
L’univers a-t-il vu changer ses destinées ?
Sais-je combien le ciel m’a compté de journées ?
Et de ce peu de jours si longtemps attendus,
Ah malheureux ! combien j’en ai déjà perdus !
Ne tardons plus. Faisons ce que l’honneur exige.
Rompons le seul lien… »
Bérénice arrive alors, elle vient d’apprendre que Titus songeait à la renvoyer. Cette scène est pour la plus belle de la pièce :
« Ah cruel ! Est-il temps de me le déclarer ?
Qu’avez-vous fait ? Hélas ! Je me suis crue aimée.
Au plaisir de vous voir mon âme accoutumée
Ne vit plus que pour vous. Ignoriez-vous vos lois,
Quand je vous l’avouai pour la première fois ?
A quel excès d’amour m’avez-vous amenée ?
Que ne me disiez-vous, Princesse infortunée,
Où vas-tu t’engager, et quel est ton espoir ?
Ne donne point un cœur, qu’on ne peut recevoir.
Ne l’avez-vous reçu, cruel, que pour le rendre
Quand de vos seules mains ce cœur voudrait dépendre ?
Tout l’empire a vingt fois conspiré contre nous.
Il était temps encor. Que ne me quittiez-vous ?
Mille raisons alors consolaient ma misère.
Je pouvais de ma mort accuser votre père,
Le peuple, le sénat, tout l’empire romain,
Tout l’univers plutôt qu’une si chère main.
[…]
Eh bien ! régnez, cruel, contentez votre gloire.
Je ne dispute plus. J’attendais, pour vous croire,
Que cette même bouche, après mille serments
D’un amour, qui devait unir tous nos moments,
Cette bouche à mes yeux s’avouant infidèle,
M’ordonnât elle-même une absence éternelle.
Moi-même j’ai voulu vous entendre en ce lieu.
Je n’écoute plus rien, et pour jamais Adieu.
Pour jamais ! Ah Seigneur, songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?
[…]
TITUS
Hélas ! Que vous me déchirez !
BERENICE
Vous êtes empereur, Seigneur, et vous pleurez ! »
Ce dernier vers a été vu depuis comme un écho à un épisode de la vie du jeune Louis XIV. Il s’était pris d’affection pour l’une des nièces de Mazarin, Marie Mancini. Mais celle-ci fut écartée par son oncle, car le roi en semblait fort amoureux. Au moment de partir, Marie Mancini aurait dit à Louis XIV : « Vous êtes roi, vous pleurez, et je pars !« .
2 commentaires
J’adore Racine. Je me souviens avoir vu Bérénice au théâtre après l’avoir étudié au lycée. Quelle belle histoire d’amour! Encore un auteur qu’il faudra que je relise un jour!
C’est aussi ce que je me suis dit en retombant sur ce passage de Bérénice… Beaucoup d’émotions que j’avais éprouvées lorsque j’étais plus jeune sont revenues ! Un challenge à organiser peut-être ? 😉